Chute de Mobutu: Les dernières heures du Vieux Léopard de Gbadolite (Zaïre) à Rabat (Maroc) via Lomé (Togo)

Chute de Mobutu: Les dernières heures du Vieux Léopard de Gbadolite (Zaïre) à Rabat (Maroc) via Lomé (Togo)

Le samedi 17 mai 1997 marque la chute du Roi du Zaïre "Vieux Léopard". Le président du Zaïre, le Maréchal Mobutu est chassé du pouvoir par la rébellion de Laurent-Désiré Kabila avec ses alliés Rwandais et Ougandais, et cela après plus de trois décennies de règne. Retour sur les dernières heures de Mobutu qui a durablement marqué l’Afrique contemporaine.

En cette nuit du vendredi16 au samedi 17 mai 1997, vue de la rive droite du grand fleuve, fasciné, Kinshasa est un Moloch à l’agonie. Abandonnée par son géniteur, livrée aux règlements de comptes meurtriers entre spadassins clochardisés d’une armée en déroute, la métropole frelatée de tous les plaisirs, Kin la belle, Kin la jouisseuse, s’apprête à accueillir les kadogos (enfants-soldats) de Kabila, ces martiens venus de l’est, comme une prostituée à bout de souffle s’offre à son dernier client.

Après l'échec de pourparlers avec Kabila sous la médiation de Mandela, le mercredi 14 mai, alors que les troupes vaincues à Kenge refluent sur Kinshasa, Jeudi 15 mai au soir, se joue le dernier acte du règne de Mobutu Sese Seko. Au camp Tshatshi, autour du maréchal épuisé, se tient deux réunions devant les généraux Likulia Bolongo, Mahele, Nzimbi, Ilunga et Vungbo (1ère réunion), Bolozi, Vungbo, Nzimbi, Wezago, et au téléphone, Baramoto (2ème réunion) où Mobutu annonce son départ : « J’irai à Gbadolite demain, confie-t-il, prenez vos dispositions. » Il est minuit. Les généraux sortent du camp Tshatshi et se rendent directement au domicile de Baramoto Kpara où une troisième réunion, en présence de la plupart des officiers Ngbandis de Kinshasa, se tient jusqu’ à 5 heures du matin. On y peaufine la liste des « traîtres » sur laquelle figure, en tête, le général Mahele. En effet, l'on savait déjà que Mahele, avec l'aide des Américains, prend contact avec l'AFDL de Kabila pour faciliter la tâche.

Vendredi 16 mai, 8 heures. Le maréchal et sa famille sont sur l’aéroport de Ndjili où un Boeing 737 de la présidence, piloté par le commandant Mukandela, les attend. Mobutu est impatient et furieux. « Où est l’argent ? » tonne-t-il. Depuis la veille une gigantesque opération de ramassage des devises disponibles dans Kinshasa a été lancée. Entre la Banque centrale, la primature et le siège local de la Belgolaise, où ont été entreposés les fonds réunis dans le cadre de la participation forcée des sociétés à l’effort de guerre, une quarantaine de millions de dollars sont ainsi raflés en quelques heures. Le problème est que chacun a pris sa part au passage et que la somme remise en liquide au président est très loin de correspondre à ce qu’il attendait. D’où son courroux.

Mais il faut partir. Au moment de grimper l’échelle de coupée, Bobi Ladawa, l’épouse de Mobutu, se tourne vers Mahele qui, avec d’autres, est présent pour ce dernier départ : « Donat, nous savons ce que vous avez fait ; c’est comme cela que vous remerciez Papa, après tout ce qu’il a fait pour vous ! » Mahele se tait. Mobutu, qui a entendu l’interpellation, se contente de hocher la tête. Il est 9 h 30. Sur ordre du colonel Mutoko, chef de la sécurité rapprochée du maréchal, le commandant Mukandela fait prendre à l’avion une trajectoire de décollage différente de l’ordinaire. On craint un attentat.

La nuit du 16 mai 1997, après le départ de Mobutu, vers 23h, il se rend au péril de sa vie au Camp Tshatshi, fief de la DSP, pour la persuader de déposer les armes afin de ne pas exposer la capitale à un risque de bain de sang. Qualifié de traître, il est alors assassiné par les derniers fidèles du maréchal, quelques heures avant l'entrée à Kinshasa des troupes de Laurent-Désiré Kabila.

La panique à Gbadolite, destination Lomé (Togo)

Samedi 17 mai 1997, à Kinshasa, c’est la fin d’un monde et le début d’un nouvel ordre. A Gbadolite, c’est la panique totale. Lorsqu’ils apprennent la nouvelle de l’assassinat de Mahele, les militaires Mbunzas de la garnison toute proche de Kotakoli se soulèvent. Leur objectif : s’emparer de Mobutu et de sa famille et leur faire « payer » l’outrage. Le colonel Mutoko en informe le maréchal : « Il faut partir au plus vite. » « Je suis un militaire, je me battrai jusqu’au bout », rétorque Mobutu. Mutoko lui fait valoir qu’ils n’ont pas d’armes. « Et celles de Savimbi ? » interroge celui qui n’est déjà plus chef de l’Etat, faisant allusion à l’impressionnant stock constitué par le chef de l’UNITA à Gbadolite afin d’échapper à l’opération de désarmement menée en Angola sous les auspices de l’ONU.

« Depuis que votre neveu, le major Movoto Sese, les a planquées quelque part en Afrique de l’Ouest avec votre accord, il n’y a plus rien », explique Mutoko. « Alors, c’est la fin », murmure Mobutu. Fuir, mais comment ? Le commandant Mukandela, que le maréchal a envoyé à Brazzaville avec ordre d’en ramener son fils Kongolu, refuse en effet de redécoller de la capitale congolaise pour Gbadolite. Il est, dit-il, lui et son Boeing, à la disposition des nouvelles autorités de son pays. Encore un traître ! Il faudra donc se résoudre à embarquer dans un vieil Antonov cargo, piloté par des Ukrainiens.

Le temps presse : la colonne des mutins venus de Kotakoli approche. Le colonel Mutoko veut faire grimper toute la famille dans un blindé, direction l’aéroport. En pleurs, Bobi Ladawa refuse : « Nous ne partirons pas ! », « Avec tout le respect que je vous dois, répond Mutoko, celui qui s’oppose, je l’abats. » L’un après l’autre, Bobi, sa sœur jumelle Kosia, leur frère Fangbi – le mauvais génie des dernières années du mobutisme et quelques autres s’engouffrent dans le véhicule. Reste Mobutu, que son fils Nzanga et Mutoko doivent littéralement traîner.

Le blindé roule à tombeau ouvert dans les rues désertes de Gbadolite, puis sur la piste où l’Antonov chauffe ses réacteurs. Par la passerelle ouverte, il entre directement dans le ventre de l’avion. Soudain, quelqu’un crie : « Les voilà ! » Eux, ce sont les Mbunzas de Kotakoli, dont les premiers éléments ont déjà atteint le bâtiment de l’aéroport. Les pilotes font décoller l’Antonov, la peur aux tripes. Des coups de feu claquent. On tire à la Kalachnikov sur l’appareil qui a bien du mal à prendre de l’altitude.

Des impacts de balles déchirent un petit morceau d’aile. En un virage audacieux, l’avion met brusquement cap à l’ouest direction Lomé, Togo. Comme momifié, Mobutu ne dit rien. Puis il murmure une phrase. Son médecin personnel, le docteur Diomi, se penche : « Même les miens me tirent dessus, lui dit le dictateur déchu, je n’ai plus rien à faire dans ce pays, ce n’est plus mon Zaïre. » Puis, le Léopard vaincu se replonge dans son mutisme. Peut-être songe-t-il à Agathe, la veuve de son ami Habyarimana, le président rwandais disparu. Il y a un an exactement, elle était venue le voir à Gbadolite pour, disait-elle, lui confier un secret : selon ses informations, quelque chose d’important se tramait à la frontière est du Zaïre, des préparatifs, des mouvements d’armes et de troupes, comme si une offensive se préparait. En rapportant cette confidence à ses proches, Mobutu avait souri : « Depuis la mort de son mari, cette pauvre Agathe n’a plus toute sa tête… »

Quand Mobutu se réfugie dans un premier temps à Lomé, auTogo, il n'est pas vraiment le bienvenu chez son ami, le président togolais Étienne Gnassingbé Eyadéma insiste pour que Mobutu quitte le pays. Mobutu se dirige vers Maroc chez son vieux ami Le Roi Hassan. Là, il est le bienvenu!

Comme il souffrait déjà de la maladie et surtout des trahisons, Mobutu Sese Seko meurt d'un cancer de la prostate le 7 septembre 1997 à l'hôpital militaire Mohammed V de Rabat et il est inhumé au cimetière européen de la ville.

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