Chute de Mobutu: Les dernières heures du Vieux Léopard au Zaïre

Chute de Mobutu: Les dernières heures du Vieux Léopard au Zaïre

Le samedi 17 mai 1997, Mobutu tombe! La fin du Zaïre! Et cela après 32 ans de règne sans partage. Comment cela s'est produit? À 25 ans de règne sans partage (1965-1990), le maréchal Mobutu Sese Seko annonce le 24 avril 1990 la fin du parti unique au Zaïre, Le MPR (Mouvement populaire de la révolution). Il s'agit des fruits de la chute du mur de Berlin, qui entraîne dans son sillage les démocraties populaires de l’autre côté du rideau de fer. Avec effroi, Mobutu assiste devant la petite lucarne à la mort de l’autoproclamé « Génie des Carpates », avec qui il s’était étrangement lié d’amitié – le leader zaïrois étant connu pour son anticommunisme virulent. Mobutu va subir la pression politique occidentale et sera obligé de quitter le pouvoir le vendredi 16 mai à la veille de l'entrée de la troupe de Kabila à Kinshasa, le samedi 17 mai 1997.

Retour sur les dernières heures du Maréchal Mobutu.

En août 1996, Mobutu se fait opérer à Lausanne d’un cancer de la prostate, dans l'entretemps l’orage se lève à l’est du Zaïre: AFDL "Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération" à la tête, l'influent Laurent-Désiré Kabila et ses alliés Rwandais et Ougandais...créée le 18 octobre 1996 au Sud-Kivu qui se disent "libérateurs du Zaïre".

En octobre 1996, de violents combats éclatent à Uvira, dans le Sud-Kivu, entre une mystérieuse Alliance des forces Démocratiques de libération et l’armée zaïroise, FAZ. En novembre, Goma et Bukavu tombent. Depuis sa résidence de Roquebrune-Cap-Martin, Mobutu limoge Eluki de son poste de chef d’état-major et le remplace par le général Baramoto Kpara. Inexorablement, comme un château de cartes, les positions des FAZ s’effondrent les unes après les autres. Pis : les éléments de la Division spéciale présidentielle envoyés sur le front passent le plus clair de leur temps à se battre contre les autres unités de l’armée zaïroise, afin de pouvoir être les premiers à piller.

Le 17 décembre, après quatre mois d’absence, Mobutu rentre à Kinshasa avec en poche, sur l’insistance pressante des Français, le décret qui nomme à nouveau Mahele à la tête de l’état-major. « C’est votre seule chance », lui a-t-on dit. Le maréchal a longuement hésité face à la perspective d’un tandem Mahele-Kengo wa Dondo (le Premier ministre), qu’il juge peu sûr. Mais il n’a pas le choix : Paris est la seule capitale qui le soutienne encore.

Descendu de sa plantation d’Ebonda le 18 décembre, le général Mahele est aussitôt pris en charge par les militaires français de l’ambassade. Ambiance… Pendant deux mois, jusqu’ à la fin février 1997, Mahele et les Français œuvrent main dans la main.

Plan de sauvetage politico-militaire: un coup d’Etat en douceur

Avec l’appui, à Paris, de Fernand Wibaux et de Dominique de Villepin, le général met en place un plan de sauvetage politico-militaire qui équivaut en fait à un coup d’Etat en douceur. Un plan d’urgence en quatre étapes : reconstitution, avec l’aide de matériel et d’instructeurs français, de la 31e brigade parachutiste ; réduction des effectifs « inutiles » des FAZ – de 80 000 à 30 000 hommes ; démantèlement, au besoin par la force, de la DSP ; mise en place d’un tandem Mahele-Kengo capable de négocier « la tête haute » avec Kabila, le maréchal étant contraint de régner sans gouverner.

Ce programme nécessite évidemment une forte implication française. Le président Chirac, à qui le projet est soumis, hésite. II n’est pas hostile à l’envoi de vivres et de médicaments pour la brigade et n’écarte pas a priori quelques livraisons discrètes de matériel. Mais il est hors de question que des militaires français aillent se fourrer dans ce guêpier.

Consulté, le Premier ministre Alain Juppé est, lui, farouchement hostile à toute intervention directe ou indirecte de la France. Fin février, alors que les villes de Watsa, Kalemie, Isiro, Kalima et Kindu sont déjà tombées entre les mains des rebelles, une note de la DGSE fait la différence : si Mahele et Kengo prenaient le pouvoir, les généraux Nzimbi et Baramoto tenteraient à coup sûr un contre-putsch. Trop risqué. Chirac tranche : l’opération de soutien au général Mahele n’aura pas lieu.

Donatien Mahele est effondré. « Les Français m’ont trahi », confie-t-il à un proche. Le général, qui sait que des consignes secrètes ont été données aux hommes de la DSP et de la Garde civile de ne pas obéir à ses ordres, est désormais convaincu que la bataille est perdue. Lui faut-il une preuve supplémentaire ? Il est à Kisangani, trois jours avant la chute de la ville, le 15 mars. Devant le dernier carré des défenseurs, il exhorte ses troupes à « sauver l’honneur » et conclut : « Ceux qui veulent se battre, à ma gauche ; ceux qui veulent se rendre, à ma droite ! » Sans mot dire, la quasi-totalité des soldats se rangent à sa droite. Ne demeurent, de l’autre côté, que les Rwandais des ex-FAR et les mercenaires serbes.

De retour à Kinshasa, Mahele est amer : « Cette armée en déroute n’est pas la mienne, c’est celle d’un clan ; ce que fait Kabila, j’aurais dû le faire depuis longtemps. » En fait, alors que le Premier ministre Kengo, rendu responsable de la perte de Kisangani, est « limogé » le 18 mars par le Parlement de transition, le général Mahele estime qu’il ne lui reste plus qu’à anticiper l’arrivée inéluctable à Kinshasa des troupes de Laurent Désiré Kabila. De quelle manière ? Encouragé par les Américains et dans le plus grand secret, Mahele se résout enfin à franchir le Rubicon : en pleine guerre, et de lui-même, lui le chef d’état-major des FAZ prend contact avec l’ennemi.

Trahison ou patriotisme ?

Ce contact est d’abord indirect. L’un de ses proches amis, Wilson Omanga, homme d’affaires kabiliste et neveu de Patrice Lumumba, le met en rapport avec Juliana Lumumba, la fille du leader défunt. Juliana, qui réside à Kinshasa où elle sympathise secrètement avec l’AFDL, fait parvenir au QG des rebelles à Goma ce qui apparaît comme une offre de dialogue. En retour, Mahele est contacté, tout aussi discrètement sur son téléphone cellulaire, par l’un de ses amis d’enfance, Jean-Baptiste Mulemba, une figure de l’antimobutisme : ancien porte-parole des gendarmes katangais qui a rejoint l’AFDL dès sa formation et cumule les fonctions de conseiller politique du président et de chef des services de renseignement. Mulemba convainc Mahele de passer, « pour le bien de tous », du dialogue à la collaboration. Il entre en contact avec Kabila.

En avril 1997, Lubumbashi et Mbuji Mayi tombent à leur tour. Le 12 avril, Likulia Bolongo, archétype du général d’ordonnance, est nommé Premier ministre en lieu et place de Kengo wa Dondo. Pour l’instant, Likulia Bolongo croit encore pouvoir jouer sa carte. Il maintient Mahele à son poste et lui confie en outre le portefeuille de la Défense, malgré l’hostilité de Mobutu. Il sait fort bien que la guerre est perdue et sans doute estime-t-il qu’il vaut mieux, en cas de négociations, avoir Mahele avec soi que contre soi.

Le mercredi 14 mai, sous la médiation de Mandela, c'est la rencontre Mobutu-Kabila à bord du navire sud-africain l’Outeniqa sur l'océan indien pour les pourparlers de la dernière chance, c'est un échec total. Inexorablement, l’AFDL progresse vers Kinshasa.

A deux cent cinquante kilomètres à l’est de la capitale, la Division spéciale présidentielle tente un baroud d’honneur autour du verrou de Kenge. La DSP a touché de nouvelles armes, achetées grâce à un don du chef rebelle angolais Jonas Savimbi – on parle de 20 millions de dollars, dont la moitié aurait été détournée par l’entourage de Mobutu -, et bénéficie du renfort d’environ trois mille combattants de l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (UNITA).

Soudain, c’est la surprise : pour la première fois depuis le début de leur offensive, sept mois auparavant, les troupes de Kabila et leurs conseillers ougandais, rwandais et angolais sont très sérieusement accrochés. Postés sur la barrière naturelle offerte par les rivières Wamba et Bakali, les Zaïrois et leurs alliés déciment des colonnes entières de l’AFDL. Au camp Tshatshi, la famille du maréchal se prend à rêver d’un retournement de situation.

Le grand rôle du "traître" Mahele au profit de l'AFDL

En fait, le handicap majeur des hommes de Kabila est leur méconnaissance totale du terrain : ils ne disposent pas de cartes d’état-major et ignorent tout du dispositif de l’ennemi. Le seul moyen de contourner les positions de la DS P et de l’UNITA est qu’une « cinquième colonne » tapie dans le camp d’en face les renseigne. En deux ou trois appels sur sa ligne protégée, le général Mahele fournit aux chefs militaires de l’AFDL les informations précises qui leur permettent de prendre à revers le dernier carré des mobutistes. Désormais, en ce début de mois de mai 1997, Kinshasa est une ville ouverte.

Ce qui peut apparaître comme une trahison majeure en temps de guerre – un commandant en chef fournissant à l’ennemi des renseignements militaires sur son propre dispositif ! – est en fait parfaitement logique et louable aux yeux de Mahele. « Cette armée n’est pas la mienne », a-t-il dit, parlant de la DSP, et dans l’état de déliquescence que connaît alors le Zaïre, où plus personne ne sait très bien qui est avec qui, l’entourage de Mobutu et les Généraux NGBANDIS sont pour lui beaucoup plus dangereux que l’AFDL.

Défendre un clan signifie-t-il défendre la patrie ? Donatien Mahele a tranché : il faut composer avec Kabila, lui faciliter la tâche afin que l’issue soit la plus rapide et la moins sanglante possible. Afin, aussi, de conserver ses propres chances d’influer sur l’après-Mobutu. Jeudi 15 mai au soir, alors que les troupes vaincues à Kenge refluent sur Kinshasa, se joue le dernier acte du règne de Mobutu Sese Seko. Au camp Tshatshi, autour du maréchal épuisé, se tient une première réunion. Il y a là les généraux Likulia Bolongo, Mahele, Nzimbi, Ilunga (ministre de l’Intérieur) et Vungbo (Garde civile).

Mahele, Likulia et Ilunga pressent Mobutu de quitter Kinshasa et de se rendre à Gbadolite : « Nous ne pouvons plus garantir votre sécurité. » Persuadé que le vieux dictateur allait se démettre, le Premier ministre avait fait prévenir la radiotélévision qu’une importante communication du gouvernement serait transmise dans la nuit. Or Mobutu résiste : « Quand on est un militaire, dit-il, ou bien on se rend, ou bien on vous tue, mais on ne fuit pas. » On se sépare sans qu’une décision soit prise. Un peu plus tard, Mobutu convoque une deuxième réunion.

Cette fois, ne sont présents que les néraux Ngbandis : Bolozi (gendarmerie), Vungbo, Nzimbi, Wezago, l’adjoint de ce dernier à la tête de la DSP, et, au téléphone, Baramoto. « Il y a des traîtres, il faut les éliminer, constituons une liste », s’emporte l’un des participants. Le maréchal calme le jeu : « J’irai à Gbadolite demain, confie-t-il, prenez vos dispositions. » Il est minuit. Les généraux sortent du camp Tshatshi et se rendent directement au domicile de Baramoto Kpara où une troisième réunion, en présence de la plupart des officiers Ngbandis de Kinshasa, se tient jusqu’ à 5 heures du matin. On y peaufine la liste des « traîtres » sur laquelle figure, en tête, le général Mahele. Certains s’inquiètent des intentions de Mobutu – « il nous abandonne ! » -, la plupart préparent leur propre fuite vers Brazzaville, de l’autre côté du fleuve.

Vendredi 16 mai, 8 heures. Le maréchal et sa famille sont sur l’aéroport de Ndjili où un Boeing 737 de la présidence, piloté par le commandant Mukandela, les attend. Mobutu est impatient et furieux. « Où est l’argent ? » tonne-t-il. Depuis la veille une gigantesque opération de ramassage des devises disponibles dans Kinshasa a été lancée. Entre la Banque centrale, la primature et le siège local de la Belgolaise, où ont été entreposés les fonds réunis dans le cadre de la participation forcée des sociétés à l’effort de guerre, une quarantaine de millions de dollars sont ainsi raflés en quelques heures. Le problème est que chacun a pris sa part au passage et que la somme remise en liquide au président est très loin de correspondre à ce qu’il attendait. D’où son courroux.

Mais il faut partir. Au moment de grimper l’échelle de coupée, Bobi Ladawa, l’épouse de Mobutu, se tourne vers Mahele qui, avec d’autres, est présent pour ce dernier départ : « Donat, nous savons ce que vous avez fait ; c’est comme cela que vous remerciez Papa, après tout ce qu’il a fait pour vous ! » Mahele se tait. Mobutu, qui a entendu l’interpellation, se contente de hocher la tête. Il est 9 h 30. Sur ordre du colonel Mutoko, chef de la sécurité rapprochée du maréchal, le commandant Mukandela fait prendre à l’avion une trajectoire de décollage différente de l’ordinaire. On craint un attentat.

Les dernières heures agitantes de Mahele

En cette journée fatidique du vendredi 16 mai, alors que le Boeing n’est plus qu’un point dans le ciel, chacun rentre chez soi. Objectif : fuir. Les avant-gardes de Kabila ont été signalées à quarante kilomètres, sur la route de Kenge. Le général Mahele regagne son domicile à La Gombe. Deux fois, il se rend chez le Premier ministre Likulia. Les deux hommes discutent de la façon de faire parvenir de l’argent aux soldats, afin d’éviter un pillage généralisé.

Mahele, après avoir hésité, convient de gagner Lusaka en Zambie, dans la journée du 17, où il annoncera solennellement à Laurent-Désiré Kabila le ralliement de l’armée zaïroise. Son plan de voyage est élaboré : Brazzaville-Luanda-Lusaka. Déjà, Nzimbi et Baramoto ont fui. Kinshasa s’offre aux hommes de Kabila.

Il est 23 heures, en ce vendredi 16 mai 1997, lorsque Likulia Bolongo appelle Mahele. Le Premier ministre, qui s’apprête à trouver refuge à l’ambassade de France, signale au général un début de soulèvement au camp Tshatshi. « La DSP veut sortir et tout piller ! » « J’y vais », répond Mahele. Folie ? Le général se sent investi d’une mission : empêcher la destruction de Kinshasa, éviter un bain de sang. C’est là-dessus, il en est persuadé, qu’il joue son avenir politique. Sans doute pense-t-il aussi que, privés de leur chef, le général.

La fin d’un monde pour Mahele au camp Tshatshi

Nzimbi, les Ngbandis de la DSP sauront l’écouter. N’est-ce pas pour eux la dernière chance de sauver leur peau ? Mahele saute dans un 4×4 avec son chauffeur et un garde du corps. Un pick-up d’escorte, avec dix militaires à son bord, le précède. Aux abords du camp Tshatshi, premier barrage : l’escorte reste sur place. Mahele continue seul, avec ses deux compagnons. Le 4×4 pénètre dans l’enceinte. Là, le chef d’état-major se retrouve face à une centaine d’hommes surexcités, entre drogue, alcool et sorcellerie, qui refusent de lui rendre les honneurs.

Parmi eux, le général Wezago, l’adjoint de Nzimbi, celui-là même qui participa la veille au soir à la deuxième réunion chez Mobutu, au cours de laquelle on évoqua les « traîtres » à éliminer. « Que viens-tu faire ici ? Tu as trahi ! Tu n’as pas fait la guerre ! » hurle Wezago. « Calme-toi, répond Mahele, l’AFDL est dans les faubourgs, demain ils seront là, vous n’avez aucune chance, déposez les armes ! »

Wezago devient fou : « Comment ! Toi qui as laissé mourir la DSP, tu nous donnes des ordres ! » Il sort son pistolet et tire sur Mahele, l’atteignant à la jambe. Le garde du corps, qui veut intervenir, est abattu. Le chauffeur a déjà fui. En un bond, Donat s’est projeté sur le côté. Il fait une nuit d’encre. On le cherche, on ne le trouve pas. Un soldat dit : « C’est toujours comme ça avec lui, il a de bons fétiches, il sait se rendre invisible. » Mais Wezago ne veut pas lâcher sa proie. A la lumière d’une lampe torche, on finit par le repérer, tapi sous le 4×4. On l’extirpe de force, on le remet debout malgré sa jambe brisée.

Un major de la DSP s’approche par derrière et d’un coup de pistolet à silencieux lui loge une balle dans la nuque. Mahele s’effondre, foudroyé. Entre temps, les soldats de l’escorte sont allés prévenir Kongolu, alias « Saddam », l’un des fils de Mobutu, qui fait de la résistance à l’hôtel Intercontinental. A bord d’un petit blindé, Kongolu se rend au camp Tshatshi. Des rafales de Kalachnikov l’accueillent. Les soldats perdus de la DSP, dont beaucoup seront abattus le lendemain par les « libérateurs « de l’AFDL ou lynchés par les Kinois, ont perdu la raison.

La panique à Gbadolite, Mobutu partir très loin: Lomé (Togo)

Samedi 17 mai 1997, à Kinshasa, c’est la fin d’un monde et le début d’un nouvel ordre. A Gbadolite, c’est la panique totale. Lorsqu’ils apprennent la nouvelle de l’assassinat de Mahele, les militaires Mbunzas de la garnison toute proche de Kotakoli se soulèvent. Leur objectif : s’emparer de Mobutu et de sa famille et leur faire « payer » l’outrage. Le colonel Mutoko en informe le maréchal : « Il faut partir au plus vite. » « Je suis un militaire, je me battrai jusqu’au bout », rétorque Mobutu. Mutoko lui fait valoir qu’ils n’ont pas d’armes. « Et celles de Savimbi ? » interroge celui qui n’est déjà plus chef de l’Etat, faisant allusion à l’impressionnant stock constitué par le chef de l’UNITA à Gbadolite afin d’échapper à l’opération de désarmement menée en Angola sous les auspices de l’ONU.

« Depuis que votre neveu, le major Movoto Sese, les a planquées quelque part en Afrique de l’Ouest avec votre accord, il n’y a plus rien », explique Mutoko. « Alors, c’est la fin », murmure Mobutu. Fuir, mais comment ? Le commandant Mukandela, que le maréchal a envoyé à Brazzaville avec ordre d’en ramener son fils Kongolu, refuse en effet de redécoller de la capitale congolaise pour Gbadolite. Il est, dit-il, lui et son Boeing, à la disposition des nouvelles autorités de son pays. Encore un traître ! Il faudra donc se résoudre à embarquer dans un vieil Antonov cargo, piloté par des Ukrainiens.

Le temps presse : la colonne des mutins venus de Kotakoli approche. Le colonel Mutoko veut faire grimper toute la famille dans un blindé, direction l’aéroport. En pleurs, Bobi Ladawa refuse : « Nous ne partirons pas ! » « Avec tout le respect que je vous dois, répond Mutoko, celui qui s’oppose, je l’abats. » L’un après l’autre, Bobi, sa sœur jumelle Kosia, leur frère Fangbi – le mauvais génie des dernières années du mobutisme et quelques autres s’engouffrent dans le véhicule. Reste Mobutu, que son fils Nzanga et Mutoko doivent littéralement traîner.

Le blindé roule à tombeau ouvert dans les rues désertes de Gbadolite, puis sur la piste où l’Antonov chauffe ses réacteurs. Par la passerelle ouverte, il entre directement dans le ventre de l’avion. Soudain, quelqu’un crie : « Les voilà ! » Eux, ce sont les Mbunzas de Kotakoli, dont les premiers éléments ont déjà atteint le bâtiment de l’aéroport. Les pilotes font décoller l’Antonov, la peur aux tripes. Des coups de feu claquent. On tire à la Kalachnikov sur l’appareil qui a bien du mal à prendre de l’altitude.

Des impacts de balles déchirent un petit morceau d’aile. En un virage audacieux, l’avion met brusquement cap à l’ouest direction Lomé, Togo. Comme momifié, Mobutu ne dit rien. Puis il murmure une phrase. Son médecin personnel, le docteur Diomi, se penche : « Même les miens me tirent dessus, lui dit le dictateur déchu, je n’ai plus rien à faire dans ce pays, ce n’est plus mon Zaïre. » Puis, le Léopard vaincu se replonge dans son mutisme. Peut-être songe-t-il à Agathe, la veuve de son ami Habyarimana, le président rwandais disparu. Il y a un an exactement, elle était venue le voir à Gbadolite pour, disait-elle, lui confier un secret : selon ses informations, quelque chose d’important se tramait à la frontière est du Zaïre, des préparatifs, des mouvements d’armes et de troupes, comme si une offensive se préparait. En rapportant cette confidence à ses proches, Mobutu avait souri : « Depuis la mort de son mari, cette pauvre Agathe n’a plus toute sa tête… »

Source: Extrait d'une enquête exclusive de François Soudan, publiée dans Jeune Afrique n°1910-1911, du 13 au 26 août 1997.

KRIBIOS UNIVERSAL


Lire la suite